Lee Price, les selfies hyper réels de la junk food
Lee Price, la compulsion mise en scène
Lee Price : « I’m painting about compulsive activity. »
Lee Price est une artiste peintre américaine qui à travers des autoportraits hyperréalistes tente, dans une série entamée depuis plus de 7 ans, de représenter le rapport qu’on les femmes occidentales à la nourriture. Mais pas seulement, Lee Price dit vouloir aussi rendre compte de la compulsion en général, de ce besoin de se rassurer, de fuir en sachant que c’est une échappatoire promise à l’échec.
Depuis 2016, l’artiste hyperréaliste a également inaugurée une série, intitulée « Surfacing », qui prolonge les pièces « à la baignoire ». Si la nourriture et la compulsion boulimique ne sont plus représentées, le sujet central demeure identique, à savoir, le rapport narcissique et régressif au corps, représenté en l’occurrence par l’immersion dans le liquide « amniotique » et lustral du bain indéfiniment prolongé.
Lee Price veut montrer, ou plutôt de son propre aveu, elle éprouve le besoin impérieux de figurer à travers l’acte de boulimie, les coercitions sociales et psychologiques que subissent les femmes modernes. Pour l’artiste peintre les femmes sont, plus fréquemment que les hommes, victimes des représentations collectives, en l’occurrence celles de la femme active, mince, soignée, sportive, mère, attentive, amante et protectrice.
Ces schémas de la féminité sont intériorisés, la femme devient alors la victime consentante de la pression sociale. Selon Lee Price les femmes à travers l’image héritée qu’elles se font d’elles mêmes finissent par fuir dans la distraction, le déni, ou…la boulimie. Pour rendre cette fuite dans l’acte névrotique encore plus saisissante Lee Price donne à ses œuvres un caractère faussement intimiste en les situant dans l’espace réservé de la salle de bain, la chambre à coucher ou plus rarement la cuisine Ces autoportraits qui pourraient relever effectivement de la scène intime sont vu à travers un regard impossible.
Il y dans les compostions de Lee Price un hors champ celui du photographe absent de la mise en scène. Il s’agit donc toujours d’un point de vue abstrait, dans la plupart des cas de vues de dessus presque parfaitement perpendiculaires. Le modèle qui essaie de se satisfaire en dévorant de la « junk food » est donc aussi le voyeur de sa propre dérive comme le suggère l’angle de prise de vue. En effet, pour Lee Price ce point de vue est pour ainsi dire celui d’une « sortie de corps ». Celui ou celle qui observe avec tant de froideur la compulsion en acte n’est autre que la victime elle même. Manger pour se materner soi-même et assister aussi, avec distance et un peu de mépris, à son échec. Ces portraits n’ont donc rien d’intime. On sent presque le moment de la prise de vue où le modèle, à savoir Lee Price, se détourne de l’objectif ou au contraire le fixe avec défiance.
En effet, pour ses compostions Lee Price procède à de longues séances photographiques où tout est soigneusement composé, jusqu’au moindre accessoire. Elle fait réaliser des dizaines, voire des centaines de clichés. Puis elle reproduit dans un luxe de détails hyper réaliste l’un d’eux. Dans la mise en scène il y a toujours un caractère improbable, comme manger dans sa baignoire, ou une accumulation de nourriture peu vraisemblable. Il y a donc dans ces mises en situation une ironie évidente. L’excès visuel appuie l’excès névrotique de la boulimie. L’absurdité discrète de la mise en scène souligne la part têtue et délirante de toute compulsion qui est toujours comme une rébellion contre le monde extérieur mais aussi soi même.
Au vide, à la frustration, répond donc la boulimie mais aussi une sorte d’accumulation visuelle, il y a trop d’accessoires, trop de réalisme, trop de distance. On n’est plus vraiment dans l’autoportrait mais la mise en représentation d’une névrose dépeinte sans complaisance, ni jugement, avec tout de même un certain sens de la dérision. Ces œuvres ont quelque chose d’hostile, autant que peut l’être l’autoportrait lucide des ses compulsions assumées dont l’on voudrait bien pourtant qu’elles cessent.
© Lee Price, « Surfacing Series », 2016.
© Lee Price.
Courtesy Evoque Contemporary gallery
Auteur : Thierry Grizard