Photographie et punctum
“En attestant que l’objet a été réel, elle [la photographie] induit subrepticement à croire qu’il est vivant.” - Roland Barthes, La Chambre Claire.
Mina Loy à 18 ans, Londres 1900 (doc. F. Benedict).
C’est un des nœuds les plus inextricables de la photographie, tout du moins tant qu’elle conserve un référent.
C’est l’objet paradoxal de la Photographie Objective allemande (Thomas Ruff, Gursky, Thomas Demand, Thomas Struth, Candida Höfer, etc.) qui est fascinée par cette pierre d’achoppement, la déconstruit et semble vouloir évacuer le “rappel photographique” presque consubstantiel de réalité absente et présente dans le même temps. C’était l’objet de la lutte contre toute forme de reproduction et d’aura dans l’art moderne et contemporain, puis aussi bien le Pop Art que les mouvements tels que l’art conceptuel ou le minimalisme.
Gerhard Richter est un des grands questionneurs de la surface de projection picturale, pour échapper au pathos et à la reproduction il s’est astreint à une démarche paradoxale, reproduire des images banales, sans qualité esthétique. Et ! Le punctum surgit malgré son ascèse de copiste, aussi bien dans le choix de la photographie, que de ce qui l’a fait émerger. Une boucle de Möbius.
Malgré le courant moderniste et post-moderniste de nombreux photographes tels qu’Emmet Gowin, Sally Mann, Paul Cupido, Grégoire Eloy, persistent à vouloir rendre compte de ces Punctum définis par Roland Barthe comme le : çà a été et *çà n’est plus ;*et on pourrait ajouter c’est là, déjà immédiatement absent pourtant présent, à nous interpeller, à poindre, à nous saisir.
“En 1865, le jeune Lewis Payne tenta d’assassiner le secrétaire d’État américain, W. H. Seward. Alexander Gardner l’a photographié dans sa cellule ; il attend sa pendaison. La photo est belle, le garçon aussi : c’est le studium. Mais le punctum, c’est : il va mourir. (…) La photographie me dit la mort au futur. Ce qui me point, c’est la découverte de cette équivalence.” - Roland Barthes, La Chambre Claire.
Lewis Powell (aka Lewis Payne) après son arrestation. Roland Barthes surinterprète en l’occurrence la photographie.
Ci-dessous une suite d’articles sur les photographes qui, précisément, tentent, contre vents et marées, de saisir la précarité, la fragilité et la fugacité des moments d’équilibre, soit pour en retenir une trace contre le temps soit pour rendre ces instants visibles. Ils sont sujets et vecteurs du punctum ! Comme si ils chevauchaient une infime feuille de papier se dérobant sans cesse, se repliant et se dépliant, fuyante.
Auteur : Thierry Grizard