Michael Ackerman la photographie à fleur de peau
Michael Ackerman, l’émotion en filigrane
Michael Ackerman est un photographe d’origine israélienne (né à Tel Aviv en 1967) de nationalité américaine, vivant à Berlin, qui se situe dans ce qu’on pourrait désigner comme la photographie émotionnelle, en ce sens où elle se confronte au réel mais dans une approche des affects.
Il s’agit d’une pratique introvertie de la photographie de rue, qui n’est que l‘occasion d’une exaspération des sens et du regard. Le référent n’est ni la scène, ni les objets de la photographie mais les émotions produites par ces derniers. L’intersubjectivité dans le cas de Michael Ackerman est en outre, à part quelques exceptions, notamment dans ses relations sentimentales et familiales, totalement univoque. La photographie est le miroir déformant, presque expressionniste, des états émotionnels du photographe. Ce qui est, en réalité, fréquemment le cas, y compris dans la majorité des démarches objectivistes. Chez le photographe américain cela prend tout de même une tournure particulièrement torturée qui n’est pas sans rappeler la mélancolie morbide de Sally Mann (voir notre article) ou le spleen de Todd Hido (voir notre article)
Michael Ackerman quand il aborde le sujet des filiations évoque volontiers Rouault, ce pourrait être aussi bien Edvard Munch, Otto Dix, ou certains photographes japonais tels que Daido Moriyama, (lui même probablement tributaire du mouvement Gutai dont le manifeste fondateur date de 1956), et le mouvement artistique Provoke, voire Nobuyoshi Araki(voir notre article).
On rapproche aussi assez souvent Michael Ackerman de quelques-uns de ses compatriotes dont Robert Franck, Garry Winogrand ou bien de certains aspects du travail de Duane Michals ou même Ralph Gibson.
Il existe enfin un évident parallèle de la photographie de Michael Ackerman avec le cinéma, quand celui-ci soumet la narration au chaos des émotions. Il y a dans le travail de l’artiste américain une dimension sinon narrative tout du moins anecdotique, le réfèrent n’est par conséquent pas l’objet dans le cadre mais un évènement soumis à une certaine dramaturgie, laquelle se construit dans la relation au temps et les corrélations muettes entre les instants du flux temporel.
Les images d’Ackerman, plus que d’autres, ne prennent leurs réelles dimensions que dans les rebonds, rappels, filiations implicites. Il n’y a pas de scénario mais des moments « montés » en images fixes qui sont autant de facettes du photographe et de sa réception fiévreuse de la réalité.
Philippe Grandrieux a produit autour des années 2000 un cinéma très proche de cette photographie. La photographie entendue comme ambiance artistique d’un film, la « couleur » ou « l’atmosphère » cinématographique. Grandrieux, dans le film intitulé « Sombre », développe une tonalité photographique faite d’exacerbations et de catatonies qui offre des similitudes très instructives concernant le corpus d’Ackerman. Lars Van Trier dans « Les Idiots », « Breaking The Waves » ou Gaspar Noe dans « Enter the Void » procurent un éclairage également saisissant du travail de Michael Ackerman.
L’artiste américain apparait alors comme le photographe de plateau de sa propre dramaturgie, ce n’est pas de la Street Photography surexcitée ou neurasthénique mais les instantanés d’un récit visuel oscillant entre exaltations et abattements.
Michael Ackerman. Watermark Galerie Camera Obscura Du 7 juin au 27 juillet 2019
© Michael Ackerman.
Auteur : Thierry Grizard