Jim Dine revisite Edward Munch et le Cri
Jim Dine délivre à la galerie Daniel Templon ses derniers travaux en partie réalisés dans son atelier de Montrouge.
La praxis
Jim Dine, 82 ans, n’a qu’une seule préoccupation : une pratique, on pourrait aller jusqu’à dire une praxis, celle de peindre dans l’esprit de la main, de la main de l’artisan promu depuis quelques siècles au statut d’artiste à la subjectivité démiurgique.
Jim Dine, après avoir été un performeur (« The Smiling Workman », 1959 ; « Car Crash », 960) et un artiste étiqueté Pop Art pour ses emprunts à la culture populaire et ses « Combine Painting » à la Robert Rauschenberg (« Four Rooms », 1962), s’est concentré essentiellement sur la matière, la Nature, et l’artisanat comme transformation, en tant qu’acte s’opposant à la théorie. Ce faisant il a participé à l’initiation du mouvement néo-Dada aux Etats Unis. Jim Dine ne s’interdit aucun procédé, aucune technique allant de la photographie à la gravure en passant par la lithographie, la sculpture, le fusain ou les installations.
L’art et la Vie
Les thèmes sont peu nombreux. On retrouve parmi les motifs récurrents de Jim Dine : l’outil dans toutes ses déclinaisons, peint, en bronze, en tant que tel que tel comme « ready made » ; le cœur quelque fois percé d’un outil ; le corbeau et les crânes ou vanités, Pinocchio fait de la main de l’artisan, qui a donné lieu à de très nombreuses variations en lithographie, les cheveux évoquant des racines ; les arbres tels des cheveux de femme ; les portes ; les vêtements, peignoir ou robe de chambre. Il manifeste par là son désir d’échapper au formalisme et à l’isolement élitiste de l’art pour se consacrer à une exaltation fréquemment véhémente de la vie, toujours matiériste, emplie de vitalité presque dionysiaque, rappelant l’aspect solaire du travail de Takis, dans une veine toutefois plus organique, quelque fois sombre.
Les « Cris » de Jim Dine
Si Jim Dine est un artiste relativement inclassable et réellement indépendant des mouvements et modes artistiques, il n’en revendique pas moins une filiation forte avec l’expressionnisme, en particulier Edvard Munch et le mouvement Dadaïste dans sa volonté d’abattre les frontières entre l’art, le réel, les disciplines, la science et les arts.
Dans le cadre de cette exposition intitulée sobrement « Montrouge », Jim Dine se confronte de nouveau à Edvard Munch, en l’occurrence une de ses œuvres les plus iconiques et donc, en quelque sorte, « pop » : « Le Cri » notamment les multiples gravures sur bois que le peintre norvégien a exécutées.
Jim Dine en donne une version frontale, beaucoup plus statique que ce qui est offert chez Edvard Munch. Il n’y pas d’arabesques tragiques qui emportent la composition, ces « Cris » sont comme des totems défiant le temps, des idoles inquiétantes, chtoniennes. L’artiste américain travaille en plein pâte dans la couleur comme si elle était une masse sculpturale. Les couches de couleurs se dévoilent ou s’accumulent dans de grands gestes que le sable égrène en longues trainées étoilées ou en sillons épais.
Le Cri primordial
Chacun de ces « Cris » se décline dans une manière spécifique, tellurique et sablonneuse ; sanguine et monochromatique ; ou atone, aphasique aux couleurs éteintes, balafrées de gestes en creux à la meuleuse.
L’ensemble est moins hallucinatoire que chez Munch mais tout aussi prenant. Il y a un aspect très physique dans ses œuvres qui hurlent effectivement, car si elles sont silencieuses, comme toute peinture, elles résonnent très profondément. Jim Dine suscite en nous une angoisse plus primordiale qu’existentielle à l’inverse du propos du peintre norvégien. Ces pièces procurent également une réaction plus positive, car les « Cris » de Dine ont quelque chose d’originaire, de profondément lié au flux de la vie. Cela s’exprime notamment dans la dynamique si particulière du travail de l’artiste américain qui fait penser à un autre grand artiste de l’énergie vital et l’éloignement de tout formalisme théorisant: Karel Appel.
La parenté est donc très forte, la vision de Jim Dine est d’une autre époque, moins tragique, peut-être tout aussi accablante, il y a probablement aussi une dimension personnelle très prégnante et lié à la réflexion sur la vieillesse et la mort.
© Jim Dine. Courtesy galerie Daniel Templon.
Biographie
Jim Dine vit et travaille à Paris, France et Walla Walla, USA 1935 Né à Cincinnati (Ohio, Etats-Unis) le 16 juin. 1947 Jim Dine perd sa mère à l’âge de douze ans. 1950 Ses grands-parents maternels le prennent en charge. Son grand-père est quincailler dans le domaine du bricolage. 1952 Cours du soir à la Cincinnati Art Academy. 1955/57 Etudes au College of Fine Arts à l’Ohio University à Athens. 1958 Déménage à New York. Il fonde, avec Claes Oldenburg et Markus Ratcliff, la Judson Gallery. Rencontre avec Allen Kaprow, John Cage et Bob Whitman initiateurs aux USA des happenings et performances. 1960 Première exposition personnelle à la Reuben Gallery à New York, où il donne sa performance « Car Crash ». 1964 Participation à la 23e Biennale de Venise au sein du pavillon américain. 1967 Installation à Londres avec sa famille jusqu’en 971 1968 Participation à la Documenta IV. 1970 Rétrospective au Whitney Museum of American Art, New York. 1971 Retour aux États-Unis 1977 Participation à la Documenta VI. 1978 Début de la collaboration avec la Pace Gallery. 1993 Jim Dine enseigne à l’Académie internationale des Beaux-Arts de Salzbourg. 2000 Début de la collaboration avec la Galerie Daniel Templon.
2005
Installation à Walla-Walla.
2013
Inauguration de la sculpture Busan Pinnochio de 9,3 mètres de haut à Busan, Corée.
2016
Quitte la Pace Gallery. Jim Dine est représenté par la galerie Richard Gray, Chicago
Auteur : Thierry Grizard