Barcelo, On The Sea & Sol y Sombra
Miquel Barcelo au musée Picasso
Miquel Barcelo est avant tout un expérimentateur et un amateur de techniques anciennes qui tendent à disparaitre en particulier dans le domaine de l’édition.
Dans l’exposition “Sol y Sombra”, en deux parties, l’une au musée Picasso, l’autre à la BNF, on voit bien l’inventivité sans limite de Miquel Barcelo mais aussi son gout pour la gravure, lithographie, poterie, etc. C’est ce qui frappe immédiatement le visiteur. Miquel Barcelo brasse toutes ces manières et les détourne de leur usage propre en les associant à d’autres techniques. Il s’ensuit des vases splendides mais sans fonction, des lithographies hybrides, des tableaux “pariétaux” et tendant au volume.
Évidemment on pense au talent protéiforme de Picasso et ce n’est bien entendu pas un hasard.
La filiation formelle, (revendiquée), mais aussi “existentielle” pour ne pas dire “ontologique” est frappante. Il y a chez Barcelo un appétit solaire et une volonté de transgression permanente qui rappellent le maître. Les sujets aussi étonnent, très peu de relation au réel, mais une constante mise en question de la peinture et des arts visuels en général. Le sujet, l’objet de ces œuvres sont presque essentiellement, (hormis de nombreux portraits), les thématiques et les bestiaires de l’art notamment espagnol. Autre particularité du travail de Barcelo, sa peur du vide. Les perspectives sont renversées et remplissent tout le champ visuel jusqu’à vouloir déborder le cadre et la planéité. La matière déborde l’espace en deux dimensions par l’intérieur comme les cotés.
Pas ou peu de vide, de ciel ou quoique ce soit qui puisse aérer la composition qui fonctionne par accumulation, fourmillement de détails narratifs et de matières additionnées. Même la temporalité est faite de juxtapositions, dans “l’Atelier de Sculptures” par exemple le chat apparait en différents lieux du temps. L’art figuratif matiériste et presque informel de Miquel Barcelo tente constamment d’excéder son médium pour probablement tenter de parvenir à une charge émotionnelle, orgiaque, voir sexuelle que l’on ressent de manière palpable dans les traces de doigts, dans les empreintes physiques que le peintre inflige à l’œuvre. Hommage constant à l’art pariétal qui a pour particularité de se manifester avec une force physique exceptionnelle, une puissance de l’usage de l’espace, du volume, de la lumière et de l’ombre qui suscitent inévitablement une expérience spirituelle.
Anselm Kiefer. Deux chemins totalement opposés, une peinture chez Kiefer qui dépasse le pictural vers la poésie, la réflexion dans la matière et une œuvre chez Barcelo instinctive, quasi orgiastique. Pourtant Kiefer et Barcelo se rejoignent dans le dépassement du médium et la portée expressive et signifiante de leurs démarches au sein des arts plastiques.
D’ailleurs le « Le Grand Mur de Têtes » au musée Picasso fait presque penser au mythe platonicien de la caverne, où ce qui est à voir est davantage les ombres projetées que l’empilement d’expériences plastiques plus ou moins avortées. Le titre de l’exposition n’est donc pas un hasard, “Sol y Sombra”, l’ombre et la lumière comme dans les grottes de la préhistoire où l’expression ”artistique” est une expérience physique, spirituelle et pour tout dire démiurgique. Mais Barcelo est un démiurge moderne, proche parfois dans sa sauvagerie de celle de son ami Jean-Michel Basquiat, avec qui il partage se rapport ample, énergique et organique avec la toile. L’accumulation “pariétale” est aussi parfois une accumulation de graffitis, de marques, de signes, de gestes jetés sur la toile ou la matière.
MIQUEL BARCELO | On The Sea
Galerie Thaddaeus Ropac, Salzburg, 2018.
Auteur : Thierry Grizard