Jan Dibbets, l’art minimal et le moine Raban Maur
Jan Dibbets, « Make It New » à la BNF
Quand le minimalisme rencontre un moine bénédictin
Quand Jan Dibbets, l’artiste conceptuel néerlandais, découvre par l’entremise de Charlotte Denoël (conservateur en chef, département des Manuscrits de la BNF) les manuscrits de Raban Maur, c’est pour lui un choc esthétique.
Raban Maur était un moine du IX° siècle vivant en Germanie, il fut abbé de Fulda puis archevêque de Mayence. Raban Maur était considéré à l’époque de la renaissance carolingienne comme un éminent théologien. Il a exécuté des poèmes dont « La Louange à la sainte Croix », un chant calligraphique glorifiant le Christ à travers la figure de la Croix déclinée en des variantes savantes au contenu plus ou moins ésotérique. Ces manuscrits se lisent comme des « rébus » manifestant le mystère de la foi. A l’instar de tous les poètes métonymiques du moyen-âge le monde est pour Raban Maur un cosmos fermé où, en toute chose, peut se déchiffrer la présence divine. Or l’écriture en tant que prière et la perfection « mathématique » des nombres de la métrique sont les moyens idéaux d’exprimer sa dévotion. La planche calligraphique est elle-même un microcosme, un reflet cryptographique de la création divine, un ensemble de signes manifestant le Verbe.
Jan Dibbets, dans un espace cubique unique de la BNF (Galerie 1), confronte donc, par-delà un millénaire, le travail du moine bénédictin à des œuvres minimalistes ou conceptuelles de Carl Andre, Ad Dekkers, Sol LeWitt, François Morellet, Niele Toroni, lui-même et quelques autres. Son souhait étant de montrer que l’art est une succession d’héritages et de dépassements aboutissant parfois à des retours et découvertes dont précisément son éblouissement pour une œuvre oubliée et maintenant illisible qui fut pourtant fameuse en son temps. Ce décalage de lecture et cette perte du sens originel du poème de Raban Maur est ce qui fait la force du propos de Jan Dibbets.
En effet, les motifs incantatoires et ésotériques se réduisent pour nous à quelques unes de leurs composantes, à savoir le rythme et l’analogie. Or la répétition et l’écart sont au centre de l’art minimal et conceptuel, la similarité (en partie trompeuse et parfaitement anachronique) est saisissante et atteste d’une forme de permanence des lectures du réel et de l’invisible.
« Make it new. » _ Ezra Pound
Commissariat :
Jan Dibbets
Charlotte Denoël, conservateur en chef, département des Manuscrits, BNF
Erik Verhagen, maître de conférences en histoire de l’art contemporain, université de Valenciennes
© Les artistes.
Courtesy La Bibliothèque de France, départements des manuscrits.
Source des images : Gallica
Auteur : Thierry Grizard