Muriel Rodolosse, peindre en transparence
Plexiglas et paradoxes
Muriel Rodolosse le revers du tableau
Muriel Rodolosse est une artiste française, née en 1964, qui a pour particularité de peindre sous plexiglas. C’est sa marque de fabrique et l’arête conceptuelle où oscille son travail.
Ce procédé introduit des perspectives fécondes, aux allures paradoxales. La plus évidente de ces mises en abîme repose sur deux inversions : l’une puisque l’on voit l’exécution à rebours, de la première touche à la dernière, car le peintre travaille sur le revers de la surface ; la seconde perturbe le plan pictural dans la mesure où il n’est plus ni une « veduta », une fenêtre illusionniste, ni davantage la surface plane où l’idiosyncrasie de l’artiste se fixe. La surface picturale se mue en un film, une pellicule interposée qui s’immisce dans l’espace et le temps du lieu d’exposition. Le plan acquiert une sorte de tridimensionnalité, un « volume plat » paradoxal. Le tableau gagne au « passage » une tranche, une épaisseur qui découpe le champ perceptif.
Pourtant, ce qui frappe le plus chez Muriel Rodolosse ne réside pas dans cette approche héritière des avant-gardes de l’art moderne, de Marcel Duchamp (Le Grand Verre) à Supports/Surfaces, en passant par Gerhard Richter (les « Glasscheiben »), mais bien plutôt la composition très dynamique et éclatée de ses œuvres.
L’artiste peintre profite du paradoxe de la peinture sur (sous/derrière) plexiglas pour donner des représentations figuratives — et donc de la perception reportée du réel — totalement disloquées. Les paysages alpestres ou urbains, voire quelques scènes de groupe et figures, se fixent sur le plan à l’instar d’une émulsion photographique qui aurait été exposée par accident, ou sur laquelle le fil du temps aurait laissé des moments.
Il y a dans ces compositions, d’allure parfois futuriste ou constructiviste, la même préoccupation que ce qui inspirait ces deux mouvements artistiques fascinés par la vitesse, la photographie dans sa capture du temps décomposé, ou le cinéma pour sa capacité à « monter » la réalité, à savoir le rapport entre l’espace et le temps. Muriel Rodolosse semble vouloir retranscrire dans une forme de temporalité juxtaposée ce qu’il y a de profondément mystérieux dans tout plan de représentation du réel quelque soit l’art visuel.
La peinture opère dans l’immanence, ou tout du moins la simultanéité, en utilisant une surface transparente comme plan de fixation, Muriel Rodolosse introduit les moments narratifs dans le flux du devenir lui-même dont elle tente de retenir des fragments perceptifs ou narratifs.
© Muriel Rodolosse.
Auteur : Thierry Grizard